Médias: Quels sont les métiers d'avenir qui vont transformer le paysage audiovisuel de demain? _ Entretien avec le Directeur Général de l'UAR, Grégoire NDJAKA

Les métiers de demain dans les médias audiovisuels africains sont au cœur des discussions à Cadenabbia dans le cadre du Forum international organisé du 5 au 8 novembre 2025 en Italie par la Fondation Konrad Adenauer (KAS) en partenariat avec l'Union Africaine de Radiodiffusion (UAR) et l'Union Européenne de Radiodiffusion (UER). Le Directeur Général de l'UAR, Grégoire NDJAKA, sonne le glas du « journaliste généraliste » et dévoile la stratégie de l'Union pour garantir la survie et la pertinence du journalisme de service public face à la transformation numérique. (Interview).

Monsieur le Directeur Général, quels sont les principaux défis structurels et financiers que les organismes de radiodiffusion publics africains doivent surmonter pour réussir la transition vers des "innovateurs actifs"?

Je dois admettre que le paysage médiatique n'est plus en évolution. Il subit un véritable tsunami de transformation. La ligne entre la radio, la télévision et le numérique s'est effacée. Les modèles de fonctionnement classique deviennent de plus en plus caduques! Nos organisations sont en train de passer d'un modèle de diffusion vertical à une production de contenu horizontal et multiplateforme. À cette convergence s'ajoute la pression technologique avec la montée en puissance de l'intelligence artificielle (IA), du Big Data, c'est-à-dire, les macro-données et de l'automatisation. Autant de challenges qu'il faut surmonter! Notre devoir est donc de transcender le rôle de "simples producteurs passifs" pour devenir des "innovateurs actifs". Ceci implique une transformation déjà perceptible dans les salles de rédactions africaines. 

Comment les organismes de radiodiffusion africains prévoient-ils de mettre en œuvre cette reconversion du personnel occupant les « Anciens métiers » vers les « Nouveaux métiers stratégiques » et quelles ressources financières et partenariales sont nécessaires pour financer ce programme massif de montée en compétence (upskilling) ? 

Nous devons penser aux métiers de demain, les nouveaux profils que nous impose l'avancée technologique. La transformation de nos équipes passe par la création et la valorisation de fonctions stratégiques. L'ère du journaliste généraliste unique est révolue. Nos anciens journalistes et réalisateurs TV devraient se former  au Data-Journalisme et à l'analyse  d'audience, utilisant les données pour mieux servir l'intérêt public. Nos responsables des rédactions devraient se muer en Architectes de contenu multiplateforme, assurant une cohérence maximale de nos productions sur tous les canaux. Nous avons besoin de spécialistes en Cybersécurité, pour protéger nos infrastructures et les données de nos organisations. Et, face au numérique, nous aurons des Modérateurs de communauté/Référents EMI pour animer les débats et former le public à l'esprit critique. Surtout, nous devons cultiver des talents comme le Prompt Engineer, le spécialiste de l'IA qui pilotera l'utilisation éthique de cette technologie en interne, etc. 

Étant donné que les médias de service public sont le "dernier rempart" contre la vague de fake news et de désinformation, quelles mesures sont prévues pour garantir et protéger l'indépendance éditoriale et financière de ces médias face aux pressions politiques ou aux intérêts des grands groupes industriels ? 

Nous sommes conscients du fait qu'au-delà de la technologie, il y a l'impératif de confiance. Face à la vague de fake news et de désinformation, nos médias de service public sont le dernier rempart (Cas des  milliers de fake news propagées à travers les réseaux sociaux en période électorale ou en temps de crise sanitaire. Exemple des dernières élections en Côte d'Ivoire, en Tanzanie, au Cameroun, la crise du Covid19, etc). Il est urgent pour nous d'assurer la formation et le recyclage continu des professionnels qui devraient être les garants de cette intégrité et de l'éthique journalistique et non des caisses de résonance au service des politiques et des grands groupes industriels. L'UAR a entrepris de nombreuses initiatives dans ce sens: Fformation UAR sur le factchecking (vérification vidéo en 2024, 2023, 2019...)

Comment l'UAR évalue-t-elle l'impact des formations comme celle de l'Île Maurice (EMI) sur l'intégration réelle de l'hybridation des compétences dans les pratiques quotidiennes des rédactions, et quelles stratégies sont mises en place pour garantir la résilience de ces compétences face aux crises financières et aux environnements africains complexes ? 

L'avenir du journalisme de service public africain repose sur un socle de compétences hybrides. Nous nous attelons à former nos journalistes à la pensée critique et à l'éthique, à la capacité à vérifier l'information (fact-checking) et à adhérer à une narration déontologique. C'est le rôle fondamental de l'Éducation aux médias et à l'information (EMI). C'est dans ce cadre que l'Union Africaine de Radiodiffusion organise des formations régulières au bénéfice des journalistes/Tech aux quatre coins de l'Afrique. Le dernier en date étant le séminaire stratégique organisé les 30 et 31 octobre 2025, en Île Maurice sur la question de l'éducation aux médias et à l'information avec le soutien de l'UNESCO. Nous devons exiger des compétences numériques intégrées. Celle-ci passe par la maîtrise des outils de production pour le web, le Mobile Journalism (MoJo), la gestion des plateformes et l'analyse de l'engagement en ligne (Réseaux sociaux et cie). Enfin, l'adaptabilité et la résilience sont capitales, notamment pour opérer efficacement dans nos environnements africains souvent complexes, marqués par les crises financières et les défis technologiques. Nous devons réinventer les modèles de financement, capitaliser sur la monétisation en ligne....)

Afin de réaliser l'idéal professionnel et d'assurer l'intégration de l'EMI et des compétences en IA/Data, quels sont les trois domaines prioritaires pour lesquels l'UAR recherche activement des financements et des partenariats concrets et comment la plateforme AUBVISION sera-t-elle spécifiquement développée pour soutenir ces objectifs ? 

L'Union Africaine de Radiodiffusion, avec l'appui de ses fidèles partenaires, mène des actions concertées pour atteindre un haut niveau de professionnalisme dans le secteur médiatique. Pour nous, la Coopération Sud-Sud et Nord-Sud est essentielle. Elle se matérialise par le partage des meilleures pratiques en matière de restructuration des ressources humaines, de cursus de formation et d'outils technologiques. Notre plateforme AUBVISION, un espace d'échange de contenus panafricain, illustre cette synergie. La croissance continue du nombre d'organismes désireux d'adhérer à cette plateforme témoigne de l'intérêt croissant et de la demande mondiale pour une information crédible sur l'Afrique.

L'investissement dans le recyclage continu de nos professionnels est une priorité absolue. Nous travaillons activement à l'intégration de l'Éducation aux Médias et à l'Information (EMI) dans les salles de rédaction africaines, d'ailleurs, un projet majeur sur l'EMI est en cours depuis juillet 2025. Notre ambition est de renforcer les compétences de nos membres dans des domaines d'avenir comme l'Intelligence Artificielle (IA) et l'analyse de données.

C'est pourquoi nous devons identifier ensemble des financements pour des projets pilotes. Ces projets permettront à nos médias de service public de tester et d'intégrer concrètement des technologies innovantes afin de garantir l'accessibilité d'une information crédible et vérifiée à tous nos publics.

Entretien réalisé par Irène GAOUDA

Les médias de demain

Anciens métiers	Nouveaux métiers stratégiques	Rôle principal
Journaliste/Réalisateur TV	Data-Journaliste / Analyste d'audience	Utiliser les données pour identifier les besoins du public et orienter les sujets d'intérêt public.
Rédacteur-en-chef	Architecte de contenu multiplateforme	Planifier et coordonner la production sur tous les canaux (radio, TV, web, réseaux) pour une cohérence maximale.
Technicien de diffusion	Spécialiste en cybersécurité et protection des données	Assurer la résilience et la sécurité des infrastructures numériques et des données des citoyens. (protège les radiodiffuseurs contre les hackers)
Journaliste généraliste	Modérateur de communauté physique ou dans le virtuel / Référent EMI	Animer les débats en ligne, gérer les commentaires et former le public à l'esprit critique (éducation aux médias et à l'information)
Développeur/ Ingénieur IT	Prompt Engineer (Spécialiste IA pour les médias)	Développer et piloter l'utilisation éthique de l'IA (transcription, traduction, génération de contenu, monétisation, développement des applications propres aux radiodiffuseurs) en interne.

Note de la Rédaction