Le Forum virtuel UAR–RAI Italia s'est ouvert sur un appel fort aux médias pour agir contre le féminicide en Afrique.

L'Union Africaine de Radiodiffusion (UAR), en partenariat avec la RAI Italia, a officiellement ouvert son Forum virtuel sur le reportage du féminicide en Afrique le lundi 15 décembre 2025. L'événement rassemble des journalistes, des experts juridiques, des universitaires, des décideurs politiques et des partenaires internationaux venus de tout le continent et d'ailleurs.

Ce forum de deux jours, qui se tient sous le thème « De la parole aux actes : Renforcer l'impact des médias dans la prévention des féminicides», s'inscrit dans le cadre de l'initiative continentale de l'UAR visant à renforcer la capacité des journalistes africains à rendre compte du féminicide de manière responsable, à enquêter sur les défaillances systémiques et à contribuer à la prévention et à la responsabilisation.

La Ministre nigériane des Affaires féminines appelle à un journalisme d'investigation responsable

Ouvrant la session, la Ministre nigériane des Affaires féminines, Hajiya Imaan Sulaiman Ibrahim, représentée par Mike Imafidor, Conseiller technique du Ministre pour la stratégie et la politique, a décrit le féminicide comme l'une des crises de droits humains et de développement les plus urgentes auxquelles l'Afrique est confrontée. Citant des données récentes d'ONU Femmes et de l'ONUDC, elle a souligné que l'Afrique enregistre désormais le nombre et le taux de féminicides les plus élevés au niveau mondial.

Elle a mis en lumière les efforts en cours au Nigeria, notamment le renforcement du tableau de bord national des données sur les VBG (violences basées sur le genre), l'expansion des Centres de Référence pour les Agressions Sexuelles, l'application de la Loi sur l'interdiction de la violence à l'égard des personnes, et les campagnes de sensibilisation nationales. Saluant l'UAR pour l'organisation de ce forum, la Ministre a qualifié les médias de partenaires essentiels dans la prévention, la justice et la transformation sociale.

Le Directeur Général de l'UAR : « Le temps de la lamentation médiatique est révolu »

Dans son allocution, le Directeur Général de l'UAR, M. Grégoire Ndjaka, a souhaité la bienvenue aux participants au nom des 85 organismes membres de l'UAR et les a invités à observer une minute de silence en mémoire des victimes de féminicide à travers l'Afrique.

M. Ndjaka a qualifié le féminicide de « crise morale, sociale et statistique aux proportions grandissantes », citant l'augmentation alarmante des cas signalés à travers plusieurs pays africains et des chiffres révélant que plus de 20 000 femmes ont été assassinées sur le continent en une seule année. Il a expliqué que ce fléau s'épanouit dans un terreau fertile de cadres juridiques fragiles, d'application des lois inconstante, de pratiques culturelles délétères et d'une profonde inertie judiciaire.

Le Directeur Général de l'UAR a ensuite insisté sur le fait que le rôle des médias devait impérativement dépasser le simple signalement des drames comme de banales « histoires d'intérêt humain » isolées. Il a lancé un appel ferme en faveur d'un journalisme d'investigation capable d'exposer sans concession les failles législatives, la lenteur des réformes judiciaires et les défaillances de la responsabilité politique. Ce journalisme doit également accorder une place centrale aux survivantes et analyser les coûts sociaux et psychologiques à long terme engendrés par la violence basée sur le genre.

M. Ndjaka a également annoncé que l'UAR avait mené la première enquête exclusive analysant la couverture du féminicide par les rédactions africaines. Les résultats de cette étude soulignent des lacunes urgentes en matière de compétences, d'éthique, de profondeur d'investigation et de reportage sensible au genre.

Ce forum, a-t-il précisé, incarne l'engagement de l'UAR à passer de la rhétorique à l'action, notamment par l'établissement de formations structurées, de cadres éthiques rigoureux et de partenariats stratégiques, en particulier avec la RAI Italia.

RAI Italia : Solidarité mondiale et rôle clé des médias

Prenant la relève, Mme Simona Martorelli, Directrice des Relations internationales et des Affaires européennes à la RAI Italia, a réaffirmé l'engagement de la RAI en faveur de la coopération internationale, mettant l'accent sur l'égalité des genres et la responsabilité cruciale des radiodiffuseurs dans ce combat.

Elle a souligné le rôle crucial que jouent les radiodiffuseurs publics dans le façonnement des attitudes publiques, l'influence sur les systèmes judiciaires et la promotion de la collaboration transfrontalière sur des questions sensibles telles que le féminicide.

Elle a noté que les partenariats comme l'initiative AUB-RAI sont essentiels pour partager les meilleures pratiques, renforcer les capacités d'investigation et garantir une meilleure protection des journalistes lorsqu'ils couvrent des histoires à haut risque.

Première journée : données, droit et pratiques en rédaction

Modérée par le responsable du desk anglophone de l'UAR, Onengiye Fyneface, la première journée s'est poursuivie avec la présentation de l'Enquête de l'UAR sur la couverture du féminicide dans les médias africains, livrée par Margaret Komol, cheffe des projets et de la formation à l'UAR.

L'enquête a permis d'obtenir des données factuelles sur les défis majeurs des rédactions africaines, mettant en lumière les risques de sécurité, les dilemmes éthiques et les lacunes urgentes en matière de formation auxquels sont confrontés les journalistes sur le continent.

Cette présentation a été suivie par des études de cas concrètes issues des rédactions de NTA Nigeria, CRTV Cameroun, TVT Togo et RAI Radio.

Ces retours d'expérience ont permis de mettre en lumière les défis pratiques et les leçons essentielles tirées de la couverture du féminicide dans des contextes nationaux variés.

Un dialogue transfrontalier sur les dimensions juridiques et sécuritaires du reportage sur le féminicide, avec la participation de la juriste Endurance Endwell-Chinda (PhD), de l'African Women Lawyers Association, et de la juriste Ilaria Boiano (PhD), avocate spécialisée en droits des femmes et chercheuse en droit pénal.

La session a notamment exploré la manière dont les enquêtes journalistiques peuvent efficacement appuyer les processus judiciaires tout en garantissant la dignité des survivantes et la sécurité des reporters.

Aborder les normes culturelles et le cadrage médiatique

Les discussions se sont ensuite concentrées sur les facteurs sociétaux profonds qui alimentent le féminicide. Au cours d'une session phare intitulée « Comprendre les normes culturelles comme moteurs du féminicide en Afrique », le Dre Evelyne Mengue A Koung, journaliste et chargée de cours à l'École Supérieure des Sciences et Techniques de l'Information et de la Communication (ESSTIC) au Cameroun, a analysé la manière dont les normes sociales tenaces, les relations de pouvoir et les systèmes de croyance contribuent à la violence basée sur le genre.

Elle a mis les journalistes au défi de couvrir les sujets culturels avec un regard critique et responsable, sans jamais renforcer les stéréotypes. Elle a insisté sur la nécessité d'impliquer les acteurs traditionnels et communautaires pour en faire des piliers des efforts de prévention.

L'UAR positionne les médias comme agents de prévention et de justice

Avec ce forum historique, l'UAR a non seulement réaffirmé son rôle de chef de file dans la promotion du journalisme de développement, du reportage sensible au genre et de l'excellence de l'investigation à travers l'Afrique, mais elle a aussi posé des jalons concrets.

En réunissant des décideurs politiques, des experts juridiques, des universitaires et des journalistes, l'Union s'engage fermement à transformer les médias africains en alliés puissants et incontournables au service de la prévention, de la résilience et de la justice pour toutes les femmes et les filles.